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LA SERVANTE DE LUCIFER - Yoko Tsuno, n° 25

F L A S H - B A C K : Roger Leloup ou la science-fiction comme passion d'enfance

En 2010, Roger Leloup fête un double anniversaire: les 40 ans des aventures de Yoko Tsuno et le 25e album de la série,"La Servante de Lucifer". Pour comprendre d'où vient Yoko, il faut remonter très loin, dans les souvenirs d'enfance de l'auteur.

Roger Leloup est né le 17 novembre 1933 à Verviers, ville proche de Liège qui fut longtemps prospère grâce à l'industrie de la laine. Ses parents tiennent un salon de coiffure et une parfumerie. Il n'a que sept ans quand éclate la Seconde Guerre mondiale: "Petit garçon, je souffrais d'un léger handicap, j'avais une vésicule biliaire très sensible. Et comme on mangeait très mal pendant la guerre, chaque mois j'étais cloué au lit par une sérieuse crise de foie. Or à côté de chez moi, ma tante tenait une librairie, et je pouvais lui emprunter tous les livres que je désirais. Un de mes premiers chocs de lecteur, ce fut unalbum de Tintin: "L'Île noire", en noir et blanc, avec les hors-textes en couleurs. Ensuite, j'ai dévoré tous les grands classiques anglo-saxons, dessoeurs Brontë à Dickens!"

Un goût inné pour la mécanique
Très jeune, Roger se passionne aussi pour tout ce qui vole:
"Les V1 qui passaient au-dessus de nos têtes et qui terrorisaient tout le monde, moi me fascinaient ! Je n'avais aucune conscience du danger! J'ai commencé à confectionner des maquettes en bois et, parallèlement, je me suis lancé dans une collection d'insectes, les plus belles machines volantes qui soient : certains me semblaient plus efficaces que les Caterpillar les plus performants! De plus, comme j'habitais en face de la gare de Verviers, certains mécaniciens connaissant mes passions venaient me chercher dans mon jardin et m'installaient dans leurs machines; je tirais sur le régulateur et je poussais des wagons pendant tout l'après-midi! J'adorais ça!"

La découverte de la science-fiction
À la Libération, la littérature américaine déferle à nouveau dans les librairies. Plusieurs éditeurs populaires, comme le Fleuve Noir, lancent des collections de science-fiction. Pour un garçon à la fois passionné par la lecture et par la mécanique, la science-fiction constitue un terreau fertile pour l'imagination: "Qui plus est, c'était une époque où le phénomène des soucoupes volantes a pris de l'ampleur. Moi, je rêvais de conquête spatiale et d'extra-terrestres." Deux auteurs marquent durablement Leloup, Jules Verne et H.G. Wells: "J'ai commencé avec les romans de Jules Verne, dont j'aimais les hypothèses plausibles et les explications techniques fouillées. Et quand j'ai découvert Wells, j'ai aimé la dimension sociale de ses histoires: par exemple, dans L'Homme invisible, l'inventeur qui fait cette découverte devient vite un paria pour ses contemporains."

Des amitiés imaginaires
Roger se plonge d'autant plus volontiers dans la lecture qu'il reste un garçonsolitaire, étant enfant unique: "Souvent je montais me coucher tôt et je me racontais des histoires au lit. Et je m'inventais volontiers une petite soeur, que je prenais plaisir à protéger. J'avais une approche assez difficile de l'autre sexe ; c'était très tabou à l'époque, les garçons et les filles étaientéduqués séparément. Et lorsque, adulte, j'ai créé Yoko Tsuno, je me suis en réalité offert l'amie que je n'avais pas eue dans ma jeunesse. Je me suis souvenu de l'actrice de cinéma d'origine asiatique Yoko Tani, si discrète, si réservée: on avait immédiatement envie de la prendre sous son aile... Ma Yoko, c'est la même chose: j'ai vraiment le sentiment de l'avoir créée pour pouvoir la protéger!"

Une propension à l'humanisme
À mi-chemin entre deux grandes influences, les récits solidement documentés de Jules Verne et les paraboles presque philosophiques de Wells, les aventures de Yoko Tsuno, héroïne sensible et jamais provocante, développent une vision humaniste de la science-fiction: "C'est difficile pour moi de définirl'humanisme qui se dégage de mes histoires. Mais j'ai vécu la guerre et son cortège d'horreurs. J'ai vu des pupitres vides à l'école lorsque les enfants porteurs d'une étoile jaune ne revenaient pas. J'ai vu ma mère pleurer pendant quatre ans et mon père revenir du combat avec un oeil en moins et le scorbut.J'ai vu tout ça et je n'ai aucun goût pour le morbide: quand je suis devenu auteur de BD, je n'ai eu aucune envie de replonger dans de telles atrocités. C'est peut-être ce qui explique que Yoko fait souvent preuve d'un certain humanisme!" H.D.
 
   
 

I N T E R V I E W de Roger Leloup — Et dans l'univers de Yoko Tsuno, survint Émilia

Dans l'épisode précédent, "Le Septième Code", Yoko Tsuno a vu débouler une pilote émérite âgée de quatorze ans à peine, Émilia Mac Kinley. Dans "La Servante de Lucifer" on retrouve ce nouveau personnage aux côtés de notre héroïne. Explications.

Comment est née Émilia ?
Dans un contexte un peu tourmenté. C'était au moment où la maison Dupuis traversait de nouvelles turbulences et je ne sentais plus beaucoup de répondant chez les directeurs éditoriaux face à ma série. Bref, je me sentais un peu has-been et j'étais à la recherche d'un nouveau souffle. Il m'est venu alors l'idée d'animer une nouvelle série avec une adolescente. Ma première envie était de situer cette série dans les années 1930: le père d'Émilia traçait des routes aériennes pour le compte d'Imperial Airways et sa fille l'accompagnait pendant les vacances… Mais je me suis vite rendu compte que si je m'investissais dans les aventures d'Émilia, je devrais sacrifier tôt ou tard Yoko: mon rythme de travail n'est pas assez rapide pour me consacrer à deux séries en alternance et mes fidèles lecteurs ne me pardonneraient pas cet abandon. J'ai donc pris la décision de faire intervenir Émilia dans l'univers de Yoko. Et aujourd'hui, j'avoue que je ne peux plus m'en passer!

Pourquoi ?
Je vais te raconter une anecdote. Un jour, ma petite-fille de quatorze ans discutait dans le salon avec sa cousine. Et de mon bureau, je les entendais s'interpeller assez vertement. Comme je leur faisais une remarque, ma petite-fille m'a répondu: "Mais enfin papy! C'est comme ça qu'on parle aujourd'hui à l'école!" Et j'ai eu un déclic ; je me suis rendu compte que les jeunes avaient changé! Et que ma Yoko s'exprimait parfois de manière un peu troplisse et polie! Et j'ai voulu que le personnage d'Émilia lui serve un peu de punching ball, en quelque sorte.

C'est un personnage qui n'est pas immédiatement sympathique.
Oui, et c'est tout à fait voulu. En lisant les premières pages du Septième Code, certains lecteurs m'ont avoué avoir envie de lui tordre le cou. Mais c'était un calcul parfaitement délibéré de ma part, parce qu'il m'a permis de créer un basculement, lorsqu'on découvre que cette adolescente, un peu crâneuse, cache une blessure: la perte de sa mère, violoniste virtuose, à l'âge de six ans. Et dans le même épisode, quelques pages plus loin, quand elle se montre trop impertinente, Yoko n'hésite pas à lui flanquer une gifle... Tout ça crée une dynamique dans le récit !

Le risque avec Émilia, c'est qu'elle ne vole la vedette à Yoko!

C'est toujours le danger lorsqu'on introduit un nouveau personnage dans une série. Dans "La Servante de Lucifer", Émilia me semblait parfois "encombrante"! Car quand elle accompagne Yoko sous terre et qu'elle y découvre les Vinéens, il est normal qu'elle pose plein de questions... Et Yoko risquait d'être reléguée à un rôle de guide qui lui explique tout, ce qui est terriblement nuisible pour les scènes d'action. C'est ce qui m'a donné alors l'idée de faire intervenir Lathy, une Vinéenne adolescente qui rétablit l'équilibre du récit: Émilia suit Lathy, tandis que Yoko peut poursuivre ses explorations en compagnie de Khâny... J'aime bien adjoindre des héroïnes secondaires à Yoko, comme Khâny, Ingrid, Cécilia ; je pourrais même leur faire vivre des aventures indépendantes de Yoko. Le problème, lorsqu'une série perdure et que la galerie des personnages s'enrichit, c'est que les lecteurs les réclament...tous! Bref, ce n'est plus un vaisseau, mais un autobus spatial qu'il me faudrait pour emmener toute cette tribu!

Si les lecteurs te les réclament, c'est bon signe...
En quarante ans, quel est le compliment qui t'a fait le plus plaisir? Oh, c'est une réflexion que j'ai remarquée plusieurs fois dans des lettres de lecteurs: "S'il vous plaît, continuez à nous faire rêver!" Là encore, il me revient à l'esprit une anecdote. Ma fille aînée est secrétaire en radiologie et un éminent chirurgien lui a demandé un jour: "Vous êtes la fille de Roger Leloup? " et il ajouta en rougissant : "Si vous saviez ce que je dois à votre père et à Yoko!" Quand j'ai appris ça, j'étais assez estomaqué: voilà un homme qui fait un métier important, qui sauve des vies, et que j'ai marqué durablement avec mes histoires, moi qui ne suis jamais qu'un dessinateur de "petits mickeys"! Ça,c'est le genre de réaction qui reste à jamais gravédans ma mémoire! H.D.

 
 



 
 
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